C’était l’automne et il faisait déjà particulièrement froid. La jeune femme errait dans des rues sombres à la recherche d’un abri pour la nuit. Elle serrait fermement contre sa poitrine l’enfant endormi dans sa couverture élimée.
Elle avait dû être jolie mais les épreuves avaient creusé son visage et dégradé la carnation de sa peau ; l’état lamentable de ses cheveux collés sur la tête, la crasse qui ponctuait sa tenue de tâches peu ragoûtantes, n laissaient plus rien entrevoir de sa séduction passée.
Les gens restaient au mieux indifférents à son passage, au pire s’écartaient de cette image désagréable. Si quelquefois l’un d’eux acceptait de garnir d’une pièce la main qu’elle tendait timidement, la plupart maudissait cette engeance qui osait déranger leur journée parfaite, si pleine de choses plus importantes à accomplir.
De temps à autre, elle avait assez pour s’acheter la nourriture du bébé, rarement de quoi se remplir son estomac. Chassée de partout, fuyant les centres d’accueil par crainte de se voir enlever son enfant, non désiré mais qu’elle aimait plus que sa propre vie, le jeune femme ne pensait plus qu’à l’instant présent, celui où il fallait surmonter les souffrances, les doutes, les humiliations pour continuer, pour trouver le moyen de se battre un jour de plus.
Question d’éducation, de morale judéo-chrétienne, d’instinct de survie, elle ne savait pas trop, ne s’en préoccupait pas, l’objectif était de ne pas sombrer dans le désespoir, de ne pas se laisser glisser au fond du trou.
La nature n’a pas ces considérations humaines, elle ne décide pas de ce qui est bien ou injuste, de qui doit survivre ou disparaître. Quand les êtres ne font plus preuve de solidarité, quand les communautés se délitent sous les coups de boutoir de l’égoïsme et du repli sur soi, les plus faibles sont laissés en pâture aux charognards.
Bien avant que Noël soit fêté dans les pays civilisés, on les retrouva dans la cave d’une maison destinée à la démolition. L’enfant s’était endormi, l’épuisement et les privations avaient fait baisser la garde de sa mère, le froid les avait soudés l’un à l’autre dans la mort.